La griesche d'yver (en ancien français)
Contre le tens qu'arbre desfueille.
Qu'il ne remaint en branche fueille
Qui n'aut a terre,
Por povreté qui moi aterre.
Qui de toutes pars me muet guerre
Contre l'yver.
Dont moult me sont changié li ver.
Mon dit commence trop diver
De povre estoire.
Povre sens et povre mémoire
M'a
Diex doné. li rois de gloire,
Et povre rente.
Et froit au cul quant bise vente :
Li vens me vient, li vens m'esvente
Et trop sovent
Plusors foies sent le vent.
Bien le m'ot griesche en covent
Quanques me livre :
Bien me paie, bien me délivre,
Contre le sout me rent la livre
De grant poverte.
Povretez est sor moi reverte :
Toz jors m'en est la porte ouverte,
Toz jors i sui
La griesche d'yver (adaptation en français moderne)
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Ce sont amis que vent me porte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Avec le temps qu'arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d'hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m'était à venir
M'est advenu
Pauvre sens et pauvre mémoire
M'a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Rutebeuf (1230?-1285)